
Respect
Mis en chantier quelques mois avant sa disparition et repoussé d’un an en raison de la pandémie, Respect, le biopic consacré à Aretha Franklin, bénéficie d’une sortie en salles française le 8 septembre. Adoubée par la Queen of Soul en personne, Jennifer Hudson campe la diva aux quatre octaves. À ses côtés, Marlon Wayans interprète le rôle du néfaste époux-manager Ted White, et Forest Whitaker celui de CL Franklin, père et mentor de la chanteuse.
Parcourant une période de vingt ans — de 1952 à l’enregistrement du monument gospel Amazing Grace en 1972 —, le film de Liesl Tommy obéit strictement aux lois cardinales du biopic, de l’inévitable triptyque ascension-chute-rédemption aux inserts du générique final listant les innombrables récompenses d’une carrière stellaire. Pour autant, Respect n’esquive pas les recoins sombres de la biographie d’Aretha « Ree » Franklin, enfant abusée, mère à douze ans et alcoolique chronique au début des années 1970. L’approche soap, notamment palpable lors de la première heure d’un long-métrage qui en compte deux et demi, est heureusement éclipsée par la véritable vedette du film : la musique.
À l’instar d’un débuts de carrière marquée par de nombreux faux-départs, Respect effectue un bond quantique lors de la séance d’enregistrement de « I Never Loved a Man (The Way I Love You) ». Sous l’impulsion de Jerry Wexler, le producteur visionnaire d’Atlantic Records interprété par Marc Maron et des boys du studio Muscle Shoals, l’alchimie magique du blues, du gospel et de la soul s’opère sous les yeux des spectateurs en sublimant la grâce et le génie d’Aretha Franklin. La séquence phare d’un biopic qui, par intermittences, mérite le respect (sock it to me, sock it to me, sock it to me, sock it to me).
Respect ***. Sortie en salles le 8 septembre (Universal Pictures). Coffret Aretha disponible (Rhino/Warner Bros.)

Prince “Sign Of The Times Super Deluxe”
Sept mois séparent la première version de « Witness 4 the Prosecution » et sa deuxième lecture. Dans sa proposition initiale, un furieux rock Hendrixien enregistré live est interprété collectivement par un groupe réuni en studio. La seconde est un exercice solo 100% synthétique, uniquement porté par une voix, des programmations de claviers et le saxophone d’Eric Leeds. Entre les deux, Prince a dissous The Revolution pour s’embarquer dans l’aventure autocratique qui donnera naissance au légendaire Sign of The Times.
L’édition Super Deluxe du magnum opus de 1987 capture cette passionnante phase de mutation avec 47 titres inédits. Réparties sur 3-CDs et présentées de manière chronologique, ces excavations du fameux Vaut compilent les plages « perdues » de The Dream Factory, formidable essai pop-funk avorté dominé par l’aura de Wendy & Lisa, de Crystal Ball, la première configuration triple-LP de Sign of The Times, des chansons de Camille, l’alter-ego à la voix pitchée, et divers projets avortés, dont la tentative de comédie musicale The Dawn et une sélection de titres écrits pour des tiers, parmi lesquels Miles Davis, Sheila E., Joni Mitchell et Bonnie Raitt. Au-delà des titres studio mixés et prêts pour diffusion, on trouve aussi des prises alternatives d’extraits de Sign of The Times, des edits de répétitions (« And That Says What », « It Ain’t Over ’Til The Fat Lady Sings », « Soul Psychodelicide » par le line-up cuivré de The Revolution) et des versions extended jamais parues (« Wonderful Day » et un anecdotique Club Mix de Shep Pettibone pour « Strange Relationship »).
Le premier des trois volumes de cette offre pléthorique est marqué du sceau de Wendy Melvoin et Lisa Coleman, à la manœuvre sur l’extravagance Beatlesienne « All My Dreams », l’exercice Paisley Underground « Teacher Teacher », la valse-comptine « A Place in Heaven », les interludes instrumentaux « Visions » et « Colors », le carnavalesque « In a Large Room With No Light », la version psychédélisante de « Strange Relationship » – présentée pour la première fois dans son intégralité – et une fascinante prise inédite de « Power Fantastic », introduite par les instructions du maestro (« Ça ne sera peut-être pas la bonne, mais jouez ce que vous voulez et prenez du bon temps… »). Avec « Can I Play With U ? », témoignage superlatif de la rencontre au sommet avec Miles Davis période Tutu et le prototype synth-pop d’« I Could Never Take the Place of Your Man » gravé en 1979, ces classiques bien connus des collectionneurs constituent le meilleur d’un premier CD où les hits éclipsent quelques misses, à l’image d’un « Love and Sex » saturé et brouillon destiné à Sheila E. De même, « The Ballad of Dorothy Parker (With Horns) » est entravé par le saxophone intrusif d’Eric Leeds, tandis qu’une version 45-tours du labyrinthique « Crystal Ball », tronçonné à 3 minutes 30, fait figure de sévère coitus interruptus.
Désormais attribués à Sony Music, les droits d’utilisation d’une des plus légendaires créations Princières privent également l’auditeur d’autres extraits du coffret Crystal Ball paru officiellement en 1998, dont les incontournables « Movie Star », « Sexual Suicide » et « Last Heart ». Cette obligation contractuelle laisse toutefois place à une nouvelle série d’inédits de cette même période. Parmi les raretés du deuxième disque issu du Vault, les trois extraits de la comédie musicale avortée The Dawn alignent la somptueuse ballade « Crucial », dans un mix alternatif incluant les cordes de Clare Fisher, l’electro-funk glacé de « The Cocoa Boys » et l’uptempo « When The Dawn of the Morning Comes », qui préfigure à sa manière le frénétique « Trust » de la BO de Batman. Sont également alignés « The Ball », modèle go-go du « Eye Know » de Lovesexy, « Everybody Want What They Don’t Got », épatante miniature pop sous influence Fab Four, « Blanche », une jam Stonienne improvisée au Sunset Sound Studio, et l’élégant mid-tempo funky « It Be’s Like That Sometimes ». En milieu de parcours, la prise alternative de « Forever in My Life (Early Vocal Studio Run-Through) » définit un des sommets incontestables du coffret. Ici, le gospel electro minimaliste de Sign of The Times se pare d’un arrangement complet, avec guitare, basse, batterie et claviers pour une merveille mélodique digne des grandes ballades solos de Paul McCartney.
Moins satisfaisant dans son ensemble, le troisième et dernier volume d’inédits s’ouvre par un double-punch avec le funk laidback d’« Emotional Pump », offert de manière incongrue et finalement décliné par Joni Mitchell, et l’electro-rock abrasif de « Rebirth of the Flesh ». « Wally », la V2 opératique d’un grand titre perdu, et le gospel exubérant de « Walkin’ In Glory » tempèrent le quatuor de compositions anodines écrites pour Vanity 6 et adressées à Bonnie Raitt, qui les rejettera poliment (un « I Need a Man » astucieusement cuivré, « Jealous Girl » (version 2), « Promise To Be True » et le simili-reggae « There’s Something I Like About Your Fool »).
Occasionnellement en pilotage automatique, voire débordé par la gauche par son trop-plein créatif, Prince évolue entre fulgurances géniales, expérimentations multi-genres fascinantes et bon grain et ivraie dans cette généreuse somme parcourant les années 1985-1987. Il s’avère surtout un remarquable éditeur dont les choix judicieux ont permis d’aboutir à la réussite artistique totale de Sign of The Times. Présenté pour la première fois en version remasterisée*, l’album original est également augmenté dans son édition Super Deluxe par un disque de faces-B et de versions maxi, et surtout d’un concert donné en plein air au Stade de Galgenwaard d’Utrecht le 20 juin 1987. À l’instar de sa prise alternative proposée dans la sélection d’inédits studio, l’interprétation live de « Forever In My Life » est le point culminant d’un show dynamique et d’excellente facture, à l’image d’une tournée exemplaire érigée au rang de mythe. Durant plus de 13 minutes, Prince embarque 15000 bataves dans de longues improvisations folk-bluesy, avant de baisser le rideau sur un foudroyant « It’s Gonna Be a Beautiful Night », point final du versant audio d’un édifice (presque) à la hauteur de son illustre double-pilier central.
* Le lien d’écoute fourni par Warner Records ne permet pas de juger la qualité audiophile de ce nouveau remaster. De même, la vidéo du concert de Paisley Park du 31 décembre 1987 n’a pas été disponible en preview.
Prince Sign of the Times Super Deluxe (Warner Records)****. Sortie le 25 septembre en éditions Super Deluxe (8CD+DVD / 13LP+DVD / téléchargement et streaming des titres audio), Deluxe (3CD / 4LP 180-grammes / téléchargement et streaming) et album remasterisé (2CD / 2LP 180-grammes couleur pêche/ téléchargement et streaming).

Kamaal Williams “Wu Hen”
Signé par Gilles Peterson alors même qu’une partie de la presse française continue de le snober, Kamaal Williams revient aux affaires avec l’excellent Wu Hen, un hommage appuyé à sa mère, originaire de Taiwan. Achevé au Maroc en pleine crise du Covid, ce troisième album s’inscrit dans la lignée du classique Black Focus et du plus sombre The Return sans tomber dans la facilité. Henry Wu, dans le civil, s’est adjoint les services de Miguel Atwood-Ferguson, collaborateur réputé de Seu Jorge et Thundercat, entre autres. Il s’est aussi entouré d’une nouvelle équipe de jeunes gens prometteurs, à l’instar du saxophoniste américain Quinn Mason, rencontré à Atlanta lors de sa dernière tournée.
A l’écoute, le « Wufunk » de Kamaal Williams a gagné en densité et en richesse harmonique avec des clins d’oeil appuyé à la France. Le multi-instrumentiste anglais déclame son amour pour la ville rose sur le lancinant « Toulouse » suivi par « Pigalle”, aux frontières du bebop. En moins de 40 minutes, le trublion de la scène londonienne démontre une fois de plus qu’il est l’un des artistes les plus talentueux de sa génération sur le vieux continent. Le genre de type capable de vous faire aimer le jazz en le tricotant avec une grosse dose de house et de funk. Assurément un des albums de l’année.
Kamaal Williams Wu Hen **** (Black Focus Records). Disponible en vinyle noir, argenté et rouge sang ainsi qu’en CD japonais avec un titre bonus.

“Wattstax 20 août 1972, une fierté noire”
” Je suis quelqu’un/Je suis peut-être pauvre, mais je suis quelqu’un/Je n’ai peut-être aucune qualification, mais je suis quelqu’un/Je suis noir, magnifique, fier. Je dois être respecté/Je dois être protégé/Quelle heure est-il ? C’est l’heure de la nation “.
Scandés le 20 août 1972 au Coliseum de Los Angeles, les mots de Jesse Jackson inaugurent le légendaire Festival de Wattstax. Zénith de la fierté noire et grand-messe de la soul music, ce concert-événement, un temps baptisé Wattstock -en référence à son homologue hippie de 1969-, est le point central de l’ouvrage du journaliste et auteur Guy Darol.
Complément idéal des albums live et du merveilleux film de Mel Stuart, le récit de Wattstax 20 août 1972, une fierté noire, de sa gestation administrative aux performances de Rufus Thomas, The Bar-Kays, The Staple Singers et du Moïse noir Isaac Hayes, est prolongé par une passionnante remise en perspective historique.
Dans Wattstax, Guy Darol tire un remarquable trait d’union entre les origines de la ségrégation, les émeutes du quartier de Watts en 1965, le récent mouvement Black Lives Matter et l’histoire contrariée du label Stax. Car si le festival de Wattstax fut le point d’orgue de la formidable enseigne colourblind, il fut aussi son chant du cygne.
Wattstax 20 août 1972, une fierté noire de Guy Darol **** (éditions du Castor Astral, 192 pages, 15,90 €). Disponible.

Jimi Hendrix “Songs for Groovy Children : The Fillmore East Concerts”
Cinquante ans après leur création, les quatre concerts mythiques de Jimi Hendrix au Fillmore East de New York le 31 décembre 1969 et le 1er janvier 1970 sont enfin réunis dans un même recueil. Panachées dans l’album (contractuel) Band of Gypsys paru en 1970, puis rééditées au fil des décennies sous diverses configurations – dont le double-CD Live at Fillmore East en 1999 – ces performances historiques interprétées par le trio composé du guitariste, de Buddy Miles à la batterie et de Billy Cox à la basse sont rééditées dans le coffret Songs For Groovy Children : The Fillmore East Concerts.
Au programme : 5 CDs (ou 8 LPs pour les amateurs de vinyles) avec plus d’une dizaine de titres et de versions inédites. Confronté à cette somme traversées de fulgurances électriques (“Machine Gun” et son blitzkrieg de wha-wha fuzz), de blues cosmiques et d’une touche de soul funkadélique (“Stop”, interprété par Howard Tate sur un texte de… Mort Schuman !), l’auditeur peut désormais reconstituer le fascinant puzzle du Fillmore East. Au détour des variantes exponentielles de “Who Knows”, “Power of Soul”, “Changes” et “Stepping Stone” déboulent un ébouriffant “Stone Free” dépassant la barre des 17 minutes, ou encore un -déjà antique- “Foxey Lady” résumant la distance parcourue par le gaucher cherokee de ses débuts avec l’Experience jusqu’à l’avant-garde de la fusion funk-rock.
Et si l’édition intégrale de ces quatre concerts n’est toujours pas d’actualité (cinq titres absents du deuxième set du 31 décembre et trois le lendemain), impossible d’éluder l’écoute d’un des ultimes sommets de la carrière du guitariste : “Goodbye 69″, harmonise Hendrix en introduction du midnight show du 1er janvier. Il lui reste neuf mois…
Jimi Hendrix Songs For Groovy Children : The Fillmore East Concerts (Sony Legacy). Coffret 5 CDs disponible le 22 novembre. Coffret 8 vinyles disponible le 13 décembre.
31/12/1969 (Set 1)
- 1. Power Of Soul
- 2. Lover Man
- 3. Hear My Train A Comin’
- 4. Changes
- 5. Izabella
- 6. Machine Gun
- 7. Stop
- 8. Ezy Ryder
- 9. Bleeding Heart
- 10. Earth Blues
- 11. Burning Desire
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1. Auld Lang Syne
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2. Who Knows
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3. Fire
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4. Ezy Ryder
-
5. Machine Gun
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6. Stone Free
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7. Changes
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8. Message To Love
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9. Stop
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10. Foxey Lady
1/1/70 Set 1
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1. Stone Free
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2. Power Of Soul
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3. Changes
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4. Message To Love
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5. Lover Man
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6. Lover Man
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7. Steal Away8. Earth Blues
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9. Voodoo Child (Slight Return)
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10. We Gotta Live Together
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11. Wild Thing
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12. Hey Joe
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13. Purple Haze

Prince « The Beautiful Ones, mémoires inachevés »
Disponible en version française le 31 octobre, The Beautiful Ones, mémoires inachevées s’articule autour de trois axes, avec pour point d’ancrage la transcription des 28 pages manuscrites rédigées par Prince sur un carnet à spirale début 2016, quelques semaines avant le fatidique 21 avril. Essentiellement centrées sur l’enfance et les années d’apprentissage de « Skipper », son background familial, l’environnement local de Minneapolis, ses premières petites amies et, au détour de sombres épisodes épileptiques, quelques apartés musicaux, dont la découverte de l’influence première de « Do Me Baby ». Agréable à défaut d’être véritablement transcendant, ce récit interrompu laisse toutefois entrevoir une progression prometteuse, tout en entraînant une inévitable frustration, comme si « When Doves Cry » ou « Let’s Go Crazy » avaient été brutalement shuntées au bout de quelques mesures…
Mais bien plus que les mots du Prince auteur, ce sont les marges de The Beautiful Ones qui constituent le grand intérêt de cette semi-autobiographie. Ces courts écrits sont d’abord enrichis par la deuxième articulation de l’ouvrage : l’introduction de Dan Piepenbring, jeune rédacteur du magazine littéraire Paris Review, retranscrit idéalement la folle genèse du projet, ses rencontres épisodiques avec son insaisissable co-auteur et l’enthousiasme débordant partagé par les deux partenaires d’écriture. Entre deux concerts australs de la tournée Piano and Microphone et une série de rendez-vous aux confins du surréalisme, Prince y déploie son irrésistible humour pince-sans-rire, tout partageant sa définition du funk : « Le funk est le contraire de la magie. Les règles, c’est ça qui compte dans le funk. »
Ces pages jubilatoires sont prolongées par le script -assez confus- de Dreams, le synopsis qui allait aboutir au film Purple Rain, et, surtout, une stupéfiante sélection iconographique. Photos de familles, bulletins scolaires, cartoons, paroles alternatives de chansons phares et, pièce maîtresse, un passionnant album-photo consacré à l’enregistrement californien de For You. On y apprend, entre autres révélations et annotations souvent hilarantes, que Prince avait décidé de conclure son premier album studio sur une reprise de… Frank Sinatra* ! C’est dans ces à-côtés illustratifs que réside la plus grande surprise de The Beautiful Ones : à rebours de ses déclarations anti-passéistes et son refus affiché de toute nostalgie, Prince avait consigné ses précieux souvenirs en archiviste consciencieux de sa propre histoire.
Prince The Beautiful Ones, mémoires inachevés édité par Dan Piepenbring. Traduit de l’anglais par Odile Demange et Jean-Philippe Guerand *** (éditions Robert Laffont). 304 pages, format : 15,8 cm × 23,2 cm, 27 euros.
* « Send in the Clowns », composée par Stephen Sondheim en 1973.

On the One ! L’histoire du funk en 100 albums
Musicien, enseignant, conférencier et Belkacem Meziane propose dans l’ouvrage On the One ! L’histoire du funk en 100 albums un panorama à la fois grand public et personnel du genre.
En prologue de ces 252 pages éclairées, une des plumes du magazine Soul Bag propose une analyse pertinente de l’évolution du funk, des ses origines rhythm’n'blues jusqu’à sa dilution dans la variété contemporaine. Cette introduction se prolonge par une sélection large de 100 albums emblématiques, de Dance to the Music de Sly and the Family Stone (1968) jusqu’à The One, synthèse electro/P-Funk signée Will Sessions & Amp Fiddler (2018).
Répertoriant chaque sous-courant (jazz-funk avec Herbie Hancock et The Blackbyrds, boogie avec Shalamar et The Whispers, disco avec Chic, go-go avec Trouble Funk, hip-hop avec Dr. Dre…), cette liste et bien évidemment dominée par l’influence des quatre visages totémiques du Mont Rushmore funky : James Brown, Sly Stone, George Clinton et Prince.
Au-delà des incontournables et de quelques choix détonants (Contradiction pour The Ohio Players ? Hotter Than July pour Stevie Wonder ? Jump to It pour Aretha Franklin ? pourquoi pas…), cette discographie sélective a le mérite de ne négliger aucune période et de proposer en bonus pour chaque album un renvoi vers des conseils d’écoute judicieux. À lire le doigt sur la souris, ou -encore mieux- sur la platine !
On the One ! L’histoire du funk en 100 albums de Belkacem Meziane (Édition Le Mot et le reste, 252 pages, 20€).

Prince “Originals”
Après le pianiste-musicien salué l’an dernier dans Piano & Microphone 1983, Originals célèbre le Prince songwriter, à l’honneur dans une sélection de 15 titres confiés à ses collaborateurs les plus proches (The Time, Jill Jones, Sheila E….) et quelques commanditaires occasionnels (The Bangles, Kenny Rogers ou Martika). Sélectionnés par le Prince Estate et Jay-Z (propriétaire de la plateforme Tidal), Originals propose les versions 100% Princières, voix et arrangements inclus, de ces chansons. Chronique titre par titre :
1/ Sex Shooter (1983, 3’06)
Originellement destiné à Vanity 6 avant son débarquement de la planète Princière en 1983, le playback de « Sex Shooter » est en tous points similaires à la version chantée par Apollonia 6 dans Purple Rain, puis parue en 1984 dans l’unique album du girl-trio. Le premier titre d’Originals introduit avec clarté son concept : une collection de chansons livrées clés en main par leur auteur à ses interprètes, des intentions générales de timbres jusqu’aux moindres interjections vocales.
2/ Jungle Love (1983, 3’04)
Traitement similaire pour « Jungle Love », basé sur un instrumental de Jesse Johnson recyclé dans Ice Cream Castle, le troisième album de The Time paru en 1984. Pas de solo de guitare dans cette version aboutie, mais l’absence est comblée par l’irrésistible imitation par Prince des « singeries » de l’impayable Morris Day.
3/ Manic Monday (1983, 2’51)
Initialement destiné à Apollonia 6, « Manic Monday » devra patienter trois ans avant d’être rhabillée aux couleurs du Paisley Underground par les Bangles de Susanna Hoffs. Largement live, cette proposition rythmée par des textures acoustiques, un motif de clavecins Mozartien et des chœurs féminins (Jill Jones ?) navigue entre les fanfreluches pop de « Take Me With U » et la mélodie lead de « 1999 ». Ah, si The Revolution avait eu le temps de passer par là…
4/ Noon Rendez-vous (1984, 3’00)
Sheila E. est la récipiendaire privilégiée de quatre offrandes dans le tracklisting d’Originals. « Noon Rendez-vous », la ballade atmosphérique parue dans le premier album de la batteuse bouclée, n’a que peu d’affinités avec cette proposition “déproduite” et ultra-dépouillée, circonscrite par la voix a cappella de Prince et uniquement accompagnée d’un piano et d’échos lointains de LinnDrum. Splendide.
5/ Make-Up (1981, 2’27)
Inclus dans l’album Vanity 6, cet étonnant exercice electro-minimaliste anticipe les fascinantes programmations synthétiques de l’album 1999, « Something in the Water… » et « Automatic » en tête. Less is more avec l’association minimaliste d’une synth-bass, de handclaps électroniques, de claviers arabisants et d’une partie chantée robotique et désincarnée. Près de 40 ans après, nombreux sont les apprentis de l’electronica qui courent encore après ce genre de fulgurance.
6/ 100 MPH (1984, 3’30)
En 1985, Prince chipe l’arrangement original de « Kiss » au groupe Mazarati. En contre-partie, le premier album du groupe sorti en 1986 bénéficiera de « 100 MPH », mini-hit en puissance et perle deep-funk du répertoire Princier. Bien connue des fans, la version proposée au groupe de Brownmark circule en bootleg depuis plusieurs années. Surprise ! Cette anthologie propose une étonnante alternative augmentée par un discret gimmick de claviers et, surtout, la guitare hurlante de Prince, le jack directement branché dans la console, et en roue libre totale pour le choc funk’n’roll d’Originals !
7/ You’re My Love (1982, 4’24)
Contre-jour abyssal du titre précédent, « You’re My Love », confié au countryman Kenny Rogers en 1986 sous le pseudo de Joey Coco, est une tentative yacht-rock croonée en basso profondo par un Prince en complet contre-emploi vocal. Passé l’effet de sidération, ce prototype de 1982 bénéficie d’une agréable instrumentation calif’ dans le style de « Money Don’t Matter 2night », autrement plus agréable que le lessivage synthétique entendu dans l’album They Don’t Make Them Like They Used To du susdit Rogers.
8/ Holly Rock (1985, 6’38)
« Sheila E. is the name, Holly Rock is the game ! ». Entendu dans la BO de l’oublié Krush Groove, « Holly Rock » conjugue l’exercice de groupe — Eddie M souffle dans son saxo —, les guitares-carillons de « Erotic City » et la folie débridée des jams Princiers de l’âge d’or. Près de sept minutes d’extase pour un version extended surpassant haut la main son homologue officiel. Le sommet funky d’Originals, conclu par un hilare « Now try to dance to that ! » de son auteur.
9/ Baby You’re a Trip (1982, 5’51)
En 1987, Jill Jones, après plusieurs années passées dans l’ombre minnéapolitaine, publie son unique album solo et pulvérise (presque) toutes les autres productions estampillées Paisley Park. « Baby, You’re a Trip », unes de plus grandes ballades méconnues de Prince, constituait déjà un des Himalayas soul de Jill Jones. Piratée jusqu’à l’os depuis plusieurs décennies, le « Baby… » d’Originals offre son bonus personnel avec, en bout de piste, la stupéfiante outro a cappella de “Mia Bocca” absente des démos répertoriées.
10/ The Glamorous Life (1983, 4’12)
Hit incontournable de la carrière de Sheila E, « The Glamorous Life » inclus dans Originals est identique à la version leakée sur Internet au lendemain de la disparition de Prince. Aura-t-on droit au traitement similaire de “A Love Bizarre” sur l’hypothétique Originals Volume II ?
11/ Gigolos Get Lonely Too (1982, 4’41)
À première écoute, la ballade tragi-comique figurant sur le deuxième album de The Time partage le même playback que celui d’Originals. Oui, mais non : si l’instrumentation est identique, plusieurs écoutes approfondies confirment que ce nouveau mixage, enfin débarrassé de l’écrasement digital des premiers transferts CD, libère chaque instrument. En résulte une grandiose ballade pop-funk, dans laquelle un Prince à la voix doublée clone à nouveau Morris Day à la perfection, tout en chantant directement sur la bande son futur solo de claviers.
12/ Love… Thy Will Be Done (1991, 4’07)
Qui se souvient de Martika, one-hit wonder des tops européens au début des 90’s ? Prince aimait tellement les volutes new age « Love… Thy Will Be Done » qu’ils les reprendra sur scène au cours de décennies suivantes. Version identique à celle distribuée sous le manteau depuis 25 ans.
13/ Dear Michelangelo (1985, 5’22)
Dernière apparition de Sheila E. au générique avec « Dear Michelangelo », une séquence uptempo apparue dans Romance 1600, en 1985. Une fois encore, un dépoussiérage avantageux rehausse les saturations de la guitare de Prince dans une prise foutraque qui n’aurait pas déparé sur le CD bonus de Purple Rain Deluxe.
14/ Wouldn’t You Love To Love Me ? (1981, 5’56)
Vieille obsession Princière réenregistrée au fil des ans et proposée à Michael Jackson avant d’atterrir chez Taja Sevelle, « Wouldn’t You Love To Love Me ? » est présentée dans sa première incarnation réalisée en 1981. Lestée par une prise de son de qualité moindre au vu des autres titres d’Originals, cette (longue) plage de travail sans véritable relief constitue le maillon faible d’un ensemble hautement satisfaisant.
15/ Nothing Compares 2 U (1984, 4’40)
Exhumée en 2018 à l’occasion d’une parution en 45-tours, l’interprétation solo de « Nothing Compares 2 U » de la chanson offerte à The Family referme Originals, un recueil parcouru d’éclairs de génie, de surprises en tous genres, d’émotion et de frustration. Comme un album de Prince…
Prince Originals (Rhino/Warner) CD simple, téléchargement et streaming disponibles le 21 juin. Versions 2-LPs et Deluxe limité CD+2LPs disponibles le 19 juillet.

Lizzo “Cuz I Love You”
Originaire de Houston, Melissa Viviane Jefferson, alias Lizzo, a renoncé à une carrière de flûtiste professionnelle avant d’intégrer une série de groupes de la scène indépendante hip-hop locale. Relocalisée à Minneapolis en 2011, Lizzo est repérée par Prince, qui l’invitera à participer à l’album Plectrumelectrum. Entre-temps, la singer-songwriter a publié un premier LP solo, Lizzobangers, en 2013, suivi de Big Grrrl Small World deux ans plus tard et d’une série de singles et d’EPs confidentiels.
Cuz I Love You, son troisième véritable album — et son premier distribué par le prestigieux label Atlantic Records — est une brillante synthèse soul/funk/hip-hop/R&B particulièrement jouissive où abondent, outre un amour évident pour le hip-hop rétrofuturiste (“Tempo” avec Missy Elliott) et le funk-rock Princier (“Cry Baby”) de nombreux clins d’oeil pop : la ballade “Jerome”, adressée à un ex peu courtois, est déclinée sur les accords du “Creep” de Radiohead tandis que le morceau-titre de Cuz I Love You cite les harmonies dramatiques du “Rock’n’Roll Suicide” de David Bowie.
Et comme le confirme l’irrésistible pastille eighties et le clip qui accompagne le premier single “Juice” (voir ci-dessous), cette entreprise est énorme de bout en bout !
Jacques Trémolin
Lizzo Cuz I Love You **** (Atlantic Records/Warner). Disponible le 19 avril en version digitale, CD et vinyle le 17 mai.

Vulfpeck “Hill Climber”
La bande de Jack Stratton est de retour sur les platines avec Hill Climber disponible depuis le 6 décembre en version digitale. Fidèle à son funk minimaliste, le quatuor originaire d’Ann Arbor (Michigan) devrait faire un tabac avec ce quatrième album dans les lignée des précédents.
Soutenu par une génération de fan biberonnés aux réseaux sociaux, Vulfpeck a enregistré ce nouveau disque avant sa tournée européenne, de passage à Paris cet automne pour deux Olympia sold-out. Longtemps ignoré par les médias traditionnels, Vulfpeck poursuit son chemin en faisant fi des traditionnels réseaux de distribution tout en appliquant un marketing habile, en phase avec son temps.
Unique en son genre, la recette Vulfpeck n’a rien de révolutionnaire et renvoie immanquablement à l’âge d’or des seventies. Hill Climber n’y coupe pas et met, notamment, en valeur le jeu varié de Joe Dart, le génial bassiste du groupe. Un album de bonne facture sans (grosses) surprises avec son immanquable tube, l’entêtant et rafraichissant « Darwin Derby ». Everybody’s groovin’ !
Vulfpeck Hill Climber *** (Vulf Records) Informations.
PS : Hill Climber sera disponible fin décembre en vinyle blanc et noir — édition limitée.

Deux nouveaux livres sur Prince en librairie
Plus de deux ans après la disparition de Prince, la bibliographie consacrée à la carrière du multi-instrumentiste de Minneapolis continue de s’étendre. Après une première vague de parutions en 2017, deux nouveaux ouvrages de référence sont aujourd’hui disponibles en librairies.
Dans PRINCE MY Name Is, Marc Borbon contourne le principe traditionnel de la biographie en proposant une passionnante analyse de l’œuvre du songwriter. Rarement évoquée, l’écriture de Prince est le point de départ d’une étude en profondeur où les thèmes principaux de ses chansons — la spiritualité, le sexe, la politique — ouvre de nouvelles portes sur une discographie unique en son genre : et si Prince était le Bob Dylan du funk ? Ce regard inédit s’accompagne également d’une pertinente mise en perspective de la production musicale de l’artiste face à ses contemporains, sans oublier un point de vue détaillé sur les rapports complexes entretenus avec le hip-hop. Lecture -en français- fortement recommandée
(PRINCE MY Name Is de Marc Borbon*** Éditions du Camion blanc, 340 pages, 30€).
Dans la catégorie livre de photos, Prince : Before the Rain d’Allen Beaulieu s’impose comme l’ultime testament visuel paru à ce jour. Accompagnateur privilégié de Prince entre 1980 et 1983, le photographe a saisi le performer sur scène, dans les coulisses et signé trois pochettes iconiques : Dirty Mind (1980), Controversy (1981) et 1999 en 1982. Riche de plus de 300 clichés largement inédits, Prince : Before the Rain dresse le portrait d’un artiste émergent à la veille du zénith de sa carrière, du noir et blanc au pourpre. On découvre un Prince rieur, poseur, casual, aux côtés des acteurs principaux des productions satellites de The Time et Vanity 6, en passant par les instantanés de la houleuse première partie des Rolling Stones à Los Angeles, en 1981. Au-delà des photos, l’ouvrage comprend un texte de Jim Walsh incluant des propos des membres du groupe, dont Lisa Coleman, Dez Dickerson, Bobby Z. et Matt Fink. Révélation en fin de parcours : Allen Beaulieu aurait-il contribué sans être crédité à une des chansons les plus célèbres du répertoire de Prince ?
(Prince : Before the Rain d’Allen Beaulieu ****Éditions Minnesota Historical Society Press, import US, 29,95 $).

Amy Winehouse “Back to Black” (documentaire)
« Le public a retenu la voix d’Amy, mais il oublie souvent qu’elle écrivait seule ses propres chansons », commente à juste titre le producteur Salaam Remi dans le documentaire Back to Black consacré aux deuxième —et ultime—album d’Amy Winehouse. Étrangement privé du logo de l’inestimable série Classic Albums, cet épisode signé Jeremy Marre s’inscrit pourtant dans la lignée de ses prédécesseurs en validant l’importance d’un long-playing incontournable des années 00.
En 52 minutes, Mark Ronson et Salaam Remi, les deux artisans de Back to Black, retracent les étapes de la création du “modern classic” paru en 2006, du songwriting à cœur ouvert de la Shangri-La de Camden Town à l’utilisation à bon escient des revivalistes soul de Daptone Records, sans oublier le subtil (et décisif !) mixage de Tom Elmhirst. Passages obligés de la collection : les sidérantes pistes isolées d’une voix-miracle et les terrassantes prises guitare-voix en cabine des néo-standards « Love is a Losing Game », « Back To Black » et du hit global « Rehab », le tout approuvé par Ronnie Spector, fan de la première heure.
En bonus, le concert inédit An Intimate Evening in London propose une performance semi-privée capturée début 2008 aux Riverside Studios de Londres. Devant famille et proches, la diva enchoucroutée façon Bobbie Gentry distille avec humour et nonchalance sa soul crève-cœur et reprend « A Message to You Rudy » et « Hey, Little Rich Girl » des Specials, quelques heures avant de décrocher ses premiers Grammy Awards sous la bénédiction de Tony Bennett. Gardons ce souvenir.
Amy Winehouse Back to Black **** (Eagle Vision/Universal). Disponible en DVD et Bluray le 2 novembre.