Interview

Prince, « Little Red Corvette » et les Stray Cats : l’aventure 1999 racontée par Dez Dickerson

Après le batteur Bobby Z. et l’archiviste Michael Howe, le guitariste Dez Dickerson se replonge dans l’aventure 1999 pour Funk★U.

★★★★★★

Funk★U : Il y a quelques jours, Bobby Z. nous expliquait que les premières parties des concerts des Rolling Stones marquaient le point de départ de l’aventure 1999. Pour vous, quand a démarré ce projet ?
Dez Dickerson : Sincèrement, je pense que cette aventure a démarré le jour où j’ai rejoint le groupe de Prince. Nous parlions beaucoup tous les deux, nous avions de très nombreuses longues conversations et il avait déjà cette vision. Il avait déjà en tête cette idée de crossover. En premier lieu, il savait quel type de public il voulait toucher et c’est aussi pour cette raison qu’il avait choisi de monter un groupe multiracial avec des garçons et des filles…

Quand avez-vous entendu parler pour la première fois de l’album 1999 ?
Pendant la tournée Controversy, nous jammions souvent lors des soundchecks et sans le savoir, nous mettions en place des idées et des structures qu’on allait retrouver plus tard dans l’album. 1999 était une progression naturelle à partir de Controversy. Prince était à la recherche d’un son précis, plus électronique, mais aussi plus pop et orienté new-wave, et c’est le groupe qui lui a d’abord permis de développer ces idées.

Vous êtes l’auteur du célèbre solo de guitare sur « Little Red Corvette », le plus grand hit de l’album 1999. Comment est né ce solo ?
Un soir, Prince m’a appelé. Il venait de terminer une chanson et il voulait que je vienne jouer un solo dessus. Je l’ai rejoint dans son studio de Kiowa Trail, il m’a demandé de m’assoir et m’a fait écouter « Little Red Corvette » pour la première fois. J’en suis immédiatement tombé amoureux. J’ai ensuite branché ma guitare et j’ai dû jouer quatre ou cinq solos différents d’affilée, puis on les a réécoutés avant de les découper pour n’en former qu’un seul. Du coup, le solo que vous entendez n’est pas joué d’une traite, c’est un assemblage de plusieurs phrases musicales que j’ai dû ensuite réapprendre de A à Z pour pouvoir le jouer sur scène.

Jouez-vous d’autres parties de guitare sur 1999 ?
Non, et je n’en joue pas non plus sur les albums que Prince a enregistré au cours de cette période. En revanche, je chante les chœurs sur la chanson « 1999 ». Tout le monde connaît la phrase d’introduction de la chanson « Don’t worry, I won’t hurt you… », mais lorsque cette voix robotique revient à la fin du morceau en répétant « 1999 », il s’agit en fait de la mienne. Pendant l’enregistrement des voix, Prince a eu l’idée de répéter le mot « 1999 » lors du final. Comme j’étais dans la cabine à ce moment-là, il m’a demandé de le faire et je me suis exécuté.

Dez + Prince

Prince et Dez Dickerson sur scène lors de la tournée 1999

Prince est aussi guitariste. Comment compareriez-vous vos styles ?
Prince était un incroyable guitariste rythmique et nous étions très complémentaires sur scène. En ce qui concerne les solos, nous partagions les mêmes inspirations, à peu de choses près. J’ai toujours été porté par le blues et Eric Clapton, à l’époque de Cream, reste une de mes plus grandes influences. Je me souviens avoir appris note pour note ses solos sur « Crossroads ». Je mettais le vinyle sur la platine et je relevais le diamant après chaque mesure (rires). Aujourd’hui encore, lorsque je prends une guitare, la première chose que je joue vient de « Crossroads ».

Le solo de « Little Red Corvette » est à la fois très rock et saturé, tout en restant mélodique.
Merci beaucoup, je suis très content que vous le souligniez. Sur scène, je jouais plutôt des solos agressifs, à la limite du heavy-metal…

On vous entend également jouer sur plusieurs titres bonus de 1999 Super Deluxe, dont « Can’t Stop This Feeling I’ve Got  » et « If It’ll Make U Happy ».
C’était une époque très créative pour Prince et ré-entendre ces morceaux après toutes ces années me replonge avec bonheur dans cette période. Une de mes chansons favorite reste « Can’t Stop This Feeling I’ve Got », que nous avons beaucoup jouée en répétitions et juste une fois sur scène il me semble. Mais ce que j’aime par-dessus tout dans cette réédition , c’est de pouvoir redécouvrir les extraordinaires versions live de « Automatic » et la chanson de 1999 « Let’s Pretend We’re Married », même si je ne jouais pas sur ce titre lors des concerts car il y avait déjà trois ou quatre claviers sur scène !

Parmi ces inédits studio, on trouve également beaucoup de titres d’inspiration rockabilly, comme « No Call U », la face-B « Horny Toad » ou « Delirious » sur l’album 1999. D’où vient cette influence ?
En 1981, nous avons fait une très courte tournée en Europe. Nous avons joué à Londres, et lors d’une soirée off, un ami sur place nous avait conseillé d’aller dans un club où jouaient les Stray Cats. On savait qu’ils étaient américains, mais on n’avait jamais écouté leur musique et on ne savait pas à quoi nous attendre. Les lumières se sont éteintes et ces types sont montés sur scène avec leurs costumes zébrés et leurs incroyables coupes de cheveux dans le style Pompadour. Ils n’avaient pas encore joué une seule note mais nous étions complètement abasourdis ! Cette soirée a beaucoup marqué Prince et quelques semaines après ce concert, on s’est mis à porter le même genre de fringues et à adopter les mêmes coupes de cheveux.

1999 coverQuelle a été votre première réaction en découvrant l’album 1999 ?
J’ai senti que cet album était la confirmation de tout ce que Prince désirait depuis le début, c’est-à-dire d’être unique et commercial à la fois. Il avait passé de beaucoup de temps à affiner et faire mûrir cette idée, et 1999 confirmait cette idée. C’est aussi à partir de ce moment-là que sa musique est devenue plus personnelle et identifiable. Dès qu’on entendait trente secondes d’une de ses chansons à la radio, on savait que c’était lui. Personnellement, j’ai senti que Prince avait passé un cap et qu’il était désormais impossible pour le grand public de l’ignorer.

Quels souvenirs gardez-vous de la tournée qui a suivi la sortie de l’album ?
Nous avions travaillé très dur pour établir notre « marque » et nous produire sur scène à plus grande échelle. C’était la plus grosse tournée de Prince depuis le début de sa carrière. Nous n’étions plus limités financièrement comparé aux tournées précédentes et c’était très agréable. Les salles étaient plus grandes. L’équipement, notre tour bus et nos gardes-robes aussi : je me suis rendu compte que les choses changeaient vraiment grâce à nos costumes de scène, car si Prince avait eu une idée après un concert, on pouvait trouver une nouvelle tenue suspendue à un cintre dans notre loge le lendemain (rires).

Dans le CD live du coffret 1999 Super Deluxe, on vous entend clairement vous partez les parties de guitare : vous jouez les solos et Prince tient la rythmique.  
Dès le départ, Prince a voulu souligner les personnalités de chaque musicien de son groupe sur scène. Je me souviens qu’à l’époque où André Cymone faisait partie du groupe (à la basse, de 1979 à 1981, ndr.), Prince voulait que nous soyons les trois leaders de ce groupe. Il voulait installer une sorte de dynamique à l’intérieur du groupe, et je me souviens également qu’il voulait que nous formions sur scène un duo à la Mick Jagger/Keith Richards. Quand on nous voit chanter tous les deux dans les même micro lors de cette tournée, c’est à ça que ça ressemble.

Il s’agit de votre dernière tournée avec Prince. Que s’est-il passé ?
Le premier jour où j’ai rencontré Prince, c’était celui de mon audition, en 1979. Juste après cette audition, je suis allé jouer un concert avec mon groupe dans un club de la ville. En partant, Prince m’a rattrapé sur le parking et il m’a demandé  : « Dez, de quoi as-tu vraiment envie ? ». Je lui ai répondu que j’avais envie de jouer, d’écrire et de produire à un niveau supérieur, et il m’a demandé si je voulais l’aider à faire la même chose. J’ai accepté et c’est ce que nous avons réussi à faire jusqu’à 1999. Puis est arrivé le projet de film qui allait devenir Purple Rain. Lors de la tournée 1999, un scénariste nous accompagnait sur chaque concert et il écrivait avec Prince la première mouture du scénario. À la fin de la tournée, Prince m’a convoqué pour me parler des trois années qui allaient suivre. Il m’a donné le choix entre m’engager sur le film, l’album et la prochaine tournée, ou bien refuser et me lancer dans une carrière solo avec le soutien de ses managers. J’ai pensé qu’une carrière solo était la bonne option, et il n’y a pas eu le moindre ressentiment ou la moindre dispute. J’étais simplement épuisé et j’avais du mal à envisager l’avenir. Ces trois ans à venir me paraissaient une éternité.

Quels sont vos projets pour 2020 ?
Je travaille sur un documentaire relatant mes années aux côtés de Prince, mais c’est un travail long et difficile. Depuis sa disparition, beaucoup de gens ont tenté de raconter son histoire vue de l’extérieur alors que nous étions une vraie famille. Nous ne faisions pas que de la musique, nous vivions ensemble. C’est cette histoire que je veux raconter.

Propos recueillis par Christophe Geudin

Prince 1999 Super Deluxe (Rhino/Warner). Coffrets 5 CD + DVD, 10 LPs+DVD et versions digitales disponibles depuis le 29 novembre.

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