Interview

Interview : Blowfly  » Je faisais du rap en 1959 sur des 78-tours »

Clarence Reid, alias Blowfly, s’est éteint le 17 janvier, victime d’un cancer du foie à l’âge de 76 ans. En 2007, le Roi du dirty funk avait donné une interview exclusive et délirante à Funk★U. Extrait d’une entrevue avec le « nastiest rapper », le président Blowfly, au micro d’Olivier Cachin.

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Funk★U : Allo, monsieur Clarence Reid, alias Blowfly ?

Blowfly : Ouais, c’est plutôt Blowfly alias Clarence Reid, parce que Blowfly a pris le dessus.

 

OK, Blowfly. C’est un grand honneur de vous parler. Votre premier album était The Weird World Of Blowfly. Comment avez-vous trouvé le concept ?

C’est une drôle d’histoire. Il faut savoir que je suis né en Georgie, et les rednecks là-bas n’aimaient pas ça, alors je me suis damné une première fois en leur disant « fuck you ». Je connaissais le shérif, un redneck qui était membre du Ku Klux Klan. Il me disait souvent « boy, les gens deviennent dingues quand on les appelle négros ». je lui ai dit « oui, et alors ? » Et il m’a répondu « tu sais comment niquer tout le monde ? En aimant ce que les autres détestent ». J’avais six ans, et ça m’a marqué. Je faisais marrer les femmes Weird World Blowflyblanches et j’étais un peu leur mascotte. Alors elles étaient gentilles avec moi et elles me disaient (voix de femme snob) « Boy ? » Je ne répondais pas. « Kid ? Junior ? Pourquoi il ne répond pas ? C’est quoi son problème ? » Et le shérif leur a dit « appelez-le négro, il va vous répondre » « Mais je n’aime pas ce mot ! » Alors il s’est tourné vers moi et m’a dit « Hey, négro ! » Et moi j’ai répondu « ouais, je suis le plus fort des négros du monde entier ! » Et après, j’ai repris des chansons comme « I’m Walking The Floor Over You » que je transformais en « I’m Jerking My Dick Over You ». Les blancs adoraient ça.

Ma grand-mère m’a dit que j’étais la honte de la race noire et que je ne valais pas mieux qu’une mouche à asticots (Blowfly en Anglais). Ma grand-mère me disait que j’étais la honte de la race noire et que je ne valais pas mieux qu’une « blowfly ». Je ne savais pas ce que c’était jusqu’à ce qu’une petite fille blanche, plus vieille que moi de six ans, qui s’appelait Mabel Cross, me dise « tu sais ce que c’est, une blowfly ? C’est un insecte noir, rouge, vert et jaune qui pond des œufs sur les cadavres qui se transforment en asticots ». Moi qui n’avait jamais pleuré de ma vie, à six ans, je me suis mis à chialer comme une madeleine. Alors elle m’a dit (voix de petite fille) « Je suis désolé que ça te rende triste, mais il y a un bon côté ! » Je ne comprenais pas comment c’était possible, alors elle m’a dit « quand il y a eu la fin du monde et que les dinosaures ont disparu de la surface de la terre, il y avait tellement de maladies que l’homme n’aurait pas pu apparaître s’il n’y avait pas eu ces mouches qui pondaient des œufs dans les cadavres et bouffaient les germes ! » Et c’est comme ça que j’ai décidé de m’appeler Blowfly.

 

Dans le génial Porno Freak, il y a « International Pricks », où vous énumérez une série de salauds. Il y a notamment Idi Amin Dada, Jim Jones et Adolf Hitler. Et ça fait bizarre de vous entendre hurler « Heil Hitler ! » au milieu de la chanson…

Blowfly

Blowfly et une amie

(Il rigole) Ah là j’ai fait mal, hein ! Comme je l’ai dit une fois à Jesse Jackson, Hitler détestait encore plus les négros que les Juifs. Aux jeux olympiques de Berlin, quand Jesse Owens a gagné, Hitler ne voulait même pas lui serrer la main, il a dit qu’il préférait foutre sa paluche dans la gueule d’un dinosaure plutôt que de serrer la main à un négro. D’ailleurs, je tiens à préciser que Porno Freak est le premier disque de l’histoire à avoir été interdit. C’était une histoire compliquée, en fait c’est à cause de John Holmes, le hardeur qui avait une bite de 33 centimètres mais avait du mal à bander, bref. En tout cas, comme il y avait interdiction de vendre le disque, les disquaires disaient « non, on ne l’a pas » puis (voix basse) « allez à l’entrée de service… » Ils ont dû en vendre 800.000 comme ça, à l’époque ! Moi j’ai lancé ma carrière en allant à Miami où j’ai rencontré Henry Stone et Dick Clark. Quand Henry Stone a entendu « Convoy », il m’a dit que c’était de la merde, parce que Hank Ballard & The Midnighters avaient été interdits pour leur chanson « Annie Had A Baby ».

Après, je suis allé voir Mike Hammerman qui m’a dit qu’il me filerait le studio à l’œil si je venais nettoyer l’endroit pendant deux trois mois. C’était notre deal, mais au bout de deux semaines, un mec n’est pas venu à sa séance alors j’ai eu le studio. Et il y avait un mec qui traînait dans le coin, Arthur Heath. Je me souviens que sa femme s’appelait Charlie, quel nom, hein ? Donc il aime, je lui donne mon adresse, il repart avec des bandes. Un jour Henry m’appelle et me dit qu’il est dégoûté, que j’aurais pu lui dire, et me lâche qu’on a un tube à Vienne, en Autriche, et à Francfort, en Allemagne ! Des hippies gays en avaient fait un tube là-bas ! Là-dessus, ma mère m’appelle et me demande de rentre immédiatement à la maison parce qu’il y a six Allemands et que tout le monde flippe. Je lui dis de se calmer, et comme ils achètent des glaces à tous les gamins, ils ne doivent quand même pas être bien méchants, ces Allemands. Donc j’arrive et je vois Heath, qui débarque direct d’Allemagne. Et il me donne un chèque. Je crois que c’est pour 1600 dollars, je suis super content, on s’embrasse et tout, et puis quand je vais à la banque le déposer la caissière me demande mes papiers. Je lui demande pourquoi et là je m’aperçois que c’est un chèque pour 16.000 dollars ! Je n’avais jamais vu autant de tunes ! Et tout ça grâce à des hippies gays allemands qui sont devenus des fans de Blowfly, ah ah ah !!! J’adore l’Allemagne.

Vous avez toujours des pochettes incroyables, avec des filles…

Tu te souviens de la couverture de Blowfly On Tour ? C’était une fille aux seins nus avec une culotte de bikini où on voyait les poils de sa touffe qui dépassaient. Son nom état Marilyn, elle allait à l’école, elle avait 16 ans à l’époque. Moi, j’ai toujours eu plein de meufs autour de moi, parce qu’au lieu d’essayer de blowfly_on_tour__32375.1407170948.500.750toutes les baiser, j’étais sympa avec elles et elles restaient avec moi parce qu’elles se marraient bien. Un jour, un mec me dit que ça serait cool d’avoir une belle nana en couv’ du prochain disque. Marilyn a dit « oh oui, je veux le faire ! » Moi, je lui ai dit qu’ils allaient me tuer, mais elle a insisté. Après, quand ma mère a vu la pochette du disque, elle m’a dit « tu es dégueulasse ! Quand madame Hampton va voir ça -c’était le nom de la mère de Marilyn- elle va te faire l’enfer ! » Moi j’étais en tournée en Allemagne quand elle m’a dit ça, et je suis rentré un peu anxieux quand même parce que je sais que ma maman est très religieuse et tout ça, donc je la vois, et elle a l’air de faire la gueule. Je lui demande ce qu’il y a, et elle me dit « je ne comprendrai jamais les gens ! Qu’est-ce qui se passe sur cette terre ? Madame Hampton revient, découvre que sa fille est sur la couverture du disque de Blowfly et au lieu de se plaindre elle me dit (Blowfly prend une voix de vieille dame) “ma fille est sur le nouvel album de Blowfly“ ! »

Vous avez interprété « Convoy », un rap sur les routiers qui fait penser au film des seventies du même nom, avec Kris Kristofferson…

Yep, et quand Kris a sorti son film, moi ça faisait déjà longtemps que je connaissais l’univers des routiers et des rednecks, j’étais même le seul noir à me brancher avec eux. Les truckers, Kris les appelaient « good buddies », mais moi, je lui ai expliqué qu’ils n’employaient pas ce genre de terme. Un jour, un vieux routier de 93 ans lui a dit « Blowfly a raison, ton “good buddy“, c’est un ami mec qui lèche des culs, suce des bites, avale du sperme et fait des tas de saloperies que les femmes ne font pas ! » Je me suis bien marré ce jour-là. Moi je suis un ancien, je faisais du rap en 1959 sur un 78-tours, c’est pour te dire que ça ne date pas d’hier. Déjà en 1953 il y avait cette chanson qui disait « fume, fume cette cigarette, continue à fumer jusqu’à en crever. Et quand Saint Pierre viendra te rencontrer à la porte dorée, tu lui diras de patienter parce que tu vas finir de fumer ta clope adorée ». Mais on n’appelait pas ça du rap à l’époque, on disait soul talking. Et j’ai été le premier à faire du rap, de loin. Sugarhill Gang a débarqué en 1979 mais ça faisait 25 ans que je faisais mon truc ! J’étais même là avant les Last Poets.

Tiens, je me rappelle d’une histoire qui va te faire marrer : il y a trois ans, ma mère me dit qu’on veut que j’aille à un Award show organisé par MTV. Je lui ai dit d’accord, mais il va y avoir un problème. Ma mère me demande lequel, et je lui répond « ils ont déjà viré deux mecs, un chanteur jamaïcain et un autre, à cause de leur langage ». Elle me dit « oui, et alors ? » Et je lui explique que le langage qu’ils avaient utilisé, c’était celui que j’avais à six ans, et que ça n’était même pas… (voix de sa mère) « Je ne veux pas entendre ça ! » Alors j’ai été à la cérémonie. Il y avait Jay-Z et tout ça, et moi j’étais programmé super tard, je voulais rentrer me coucher. Finalement, c’est à moi de monter sur scène. Et là vient un flic, que je connaissais bien d’ailleurs. Et il me dit « écoute, mec, je dois te dire un truc, tiens-toi à carreau sur scène parce qu’il y a des gamins dans la salle et toi tu ne devrais pas être là ». Je lui dis « ah bon ? » et il me fait « oui, c’est la loi. Mais demande-moi ce que j’en pense vraiment ». Alors je lui dis « et entre nous ? » Et il me répond « va botter le cul de tous ces motherfuckers ! » Je lui ai dit de ne pas s’inquiéter. Donc on me présente, « et maintenant, l’homme qui a lancé le rap, Blowfly ! » Et quand j’arrive, j’ai l’air super déprimé. Le présentateur me dit « eh ben, qu’est-ce qu’il y a ? » Je répond « j’ai des mauvaises nouvelles pour vous, les filles. Dans quelques secondes, tout ce truc des MTV Awards va partir en vrille, ça va être dangereux. La température va être 666 milliards de fois plus chaude qu’au cœur du soleil. Alors les flics m’ont dit de vous prévenir, vous les meufs au cœur sensible. Vous avez dix secondes pour partir. Ah vous ne partez pas ? » Toutes les meufs ont crié « non ! » alors je leur ai dit « bon, les filles, pour me prouver que vous êtes encore là, je veux que vous vous mettiez la main dans la culotte et que vous me montriez vos poils pubiens ! » Et elles l’ont fait !

 Propos recueillis par Olivier Cachin © Funk★U 2007

Bande-annonce de l’excellent documentaire The Weird World of Blowfly (2011).