Interview Soul

Myron & E « Il y a toujours quelque chose à apprendre »

 

La labyrinthique maison ronde de Radio France accueille le duo Myron & E à l’occasion de l’enregistrement de deux titres tirés de leur premier album On Broadway (Stones Throw Records, 2013). C’est une salle de conférence de presse au confort douillet qui abrite notre conversation dans une ambiance très laidback. Plutôt satisfaits des comparaisons avec leurs illustres prédécesseurs, notamment Motown & Stax qui délivraient des bijoux à un rythme échevelé, Myron & E ne renient pas la labellisation vintage/retro soul. Conscients de porter les couleurs de la soul music des années 1960, ils ont cependant à cœur d’y ajouter une touche personnelle et unique, de travailler les mélodies et les arrangements vocaux. A cet égard, collaborer avec les Soul Investigators, six solides musiciens géniteurs des deux derniers albums de Nicole Willis, constitue une parfaite association.

(N)essence d’un duo

Le générique d’Amicalement vôtre vient à l’esprit lorsque l’on retrace le parcours des deux compères. Côte Ouest : Myron Glasper veut devenir joueur de football américain et ne s’imagine pas du tout devenir chanteur. Il ne commence à chanter que relativement tard. C’est Syreeta Wright Mathis (la première épouse de Stevie Wonder) qui lui fait découvrir un potentiel qu’il n’aura de cesse de développer pour enfin arriver à trouver sa voix et sa voie. Parallèlement, il devient danseur, pour entre autres le show comique In Living Colour créé par les frères Wayans. Côte Est: Eric Cooke grandit avec et autour de la musique funk, puis tombe amoureux du hip-hop. Il se met à mixer très jeune à l’occasion de fêtes familiales, de house-parties puis de gigs plus importants. Myron Glasper et Eddie Cooke évoluaient tous les deux dans le monde musical quand ils se sont rencontrés. Ils expliquent l’évolution d’une collaboration qui s’est transformée en une véritable amitié. « On se croisait souvent et on se disait : « hey, salut ça va ? ». Et sans plus. Puis ça a vraiment commencé à coller lors de la tournée avec Blackalicious en 2008. On s’est rendu compte qu’on avait plein de choses en commun et pas seulement la musique. On a pratiquement le même âge, on a évolué dans le même genre d’ambiance familiale. Ce qui rend notre amitié si forte, c’est que nous n’avons pas que la musique en commun. On pourrait presque être cousins !»

Helsinki

C’est en effet au cours d’une tournée européenne, que E da Boss (son nom de DJ) entend jouer The Soul Investigators et se lance dans une jam impromptue avec eux. Satisfaits de ce gig, ils proposent à E de poser sa voix sur des instrus de leur composition. Myron passant dans les environs décide inopinément de rendre visite à E, qui, au même moment, écoute un instru envoyé par TSI. C’est là qu’il lui demande d’y placer sa voix et d’en écrire les paroles. Myron décrit cet instant comme une expérience extra sensorielle, un moment ésotérique : il se sent guidé par une inspiration céleste et les paroles arrivent en un seul flot. « Cold Game » est devenu le premier morceau du duo. Il sera suivi par trois autres 45-tours. C’est également à Helsinki que Peanut Butterwolf, fondateur de Stones Throw, entend les titres de Myron & E dans les studios Timmion (le label finnois de TSI et de Nicole Willis). Coup de cœur et signature dans la foulée pour la sortie d’un album. Comme l’indique E, « cet album soul a été conçu presque comme un disque de hip-hop, comme si on mettait des lyrics sur des beats. Et ce sont ces musiques qui ont inspiré les paroles ». Afin de donner une couleur supplémentaire à l’album, E. envoie des liens YouTube à l’excellent sextuor finnois. Ils s’en inspirent et créent leur propre interprétation de ces titres. Ces allers-retours transatlantiques durent plusieurs mois et accouchent du formidable LP On Broadway.

Myron explique que pour les morceaux qui n’emportaient pas leur totale adhésion, tel le Petit Prince face au renard, ils avaient pour défi de l’apprivoiser et d’apprendre à l’aimer. Il faut toujours creuser le matériau pour savoir qu’en faire et en sortir une œuvre. En cela, Myron a suivi les conseils de Gift of Gab « il faut toujours finir une chanson». C’est ainsi que « Back‘n Forth » est devenu l’un de ses morceaux favoris, alors qu’il ne voulait même pas qu’il figure sur l’album. Pour conclure, Myron décrit son processus créatif par ces mots : « J’écris tout le temps et pourtant je dois m’accorder des moments de pause parce que je m’ennuie facilement et plus rien ne vient. L’inspiration arrive très sporadiquement, ça peut être dans le bus, pendant les balances, n’importe quand. En général, je ne me dis pas « bon, à 14 heures, il faut que je me mette à bosser. »

Un enthousiasme qu’on retrouve également sur scène. Myron : « On aime beaucoup les tournées. Ca peut être crevant parfois, mais il y a pire comme boulot, non ? Je me disais qu’en comparaison avec les artistes d’il y a 50 ans, on a vraiment de la chance. Les conditions de transports étaient différentes, leur condition d’hommes aussi. Ils ne pouvaient pas entrer par la porte des artistes, mais par celle de derrière… ». Dans la plus pure tradition des soulmen d’antan, ils ont développé sur scène – leur tournée mondiale les a conduits du Japon à Rennes en passant par Stockholm ou San Francisco- ce qu’ils appellent une « routine spontanée », faite de pas de danse, de jeux de scènes et de petites anecdotes généreusement distillées. Et de joyeuse complicité non feinte : contrairement à Sam & Dave qui se détestaient royalement et qui ne se retrouvaient que pour honorer leurs tours de chant.

Premiers émois musicaux

Myron est le premier à répondre: « En fait, j’en ai deux.  Je suis allé voir la comédie musicale The Wiz avec Michael Jackson. J’avais le 45-tours et j’en étais fou. Je me souviens aussi qu’adolescent, un pote à moi qui vient de Belize m’avait fait découvrir le reggae, Gregory Isaacs… Personne, vraiment personne de mon entourage, n’écoutait de reggae. Et moi j’en écoutais en cachette. Lorsque quelqu’un frappait à la porte de ma chambre, j’arrêtais la musique. Comme un secret honteux en somme ! Et puis après cela m’a amené à découvrir Bob Marley, ce qui m’a ouvert de nouvelles portes ». Pour Eric : « Je ne me lasse pas des tout premiers OutKast, Organized Noize : j’adore ! C’est la jonction parfaite de la soul et du hip-hop. Pour moi, ces albums sont touchent à la perfection. » Il évoque aussi les soirées Sweater Funk où l’on passait du boogie il y a quatre ou cinq ans. « Quand j’y allais, je restais assis là à regarder les gens avec le sourire aux lèvres. On me demandait pourquoi je ne dansais pas et je répondais que ça me rappelait ma jeunesse, quand dans la voiture avec mon père ou ma mère, on écoutait WBLS ou Kiss FM. Constater que la nouvelle génération apprécie ce genre de musique, ça me fait vraiment quelque chose. »

Concernant la musique actuelle, même s’ils n’aiment pas tout, Myron & E estiment qu’elle fait partie de la culture populaire américaine et qu’il faut la considérer comme telle. Myron prend pour exemple Lady Gaga chantant « Paparazzi » au piano. « Elle ne se contente pas de se mettre un œuf sur la tête, elle bosse dur aussi. J’adore être entouré de musique et une chose que je sais, c’est qu’il y a toujours quelque chose de bon à apprendre. Toujours. Il faut garder cette ouverture d’esprit qui permet d’élargir son horizon et enrichir son esprit créatif. »

Propos recueillis par Catwoman

Myron & E On Broadway (Stones Throw).