Interview

Interview : Gilles Peterson « J’aimerais retrouver D’Angelo »

À l’occasion du dixième anniversaire de son émission Worldwide et du festival du même nom qui se tiendra à Sète en juillet prochain, le DJ-producteur anglo-suisse retrace son parcours en exclusivité pour Funk-U.

Funk-U : Vous animez l’émission Worldwide sur Radio One depuis dix ans. On vous connaissait en tant que DJ phare de la BBC. Comment vous est venue l’idée d’enregistrer des sessions live ?

Gilles Peterson : J’ai commencé vers 15, 16 ans sur des stations pirates. Il y a une dizaine d’années, j’étais DJ surtout en Europe, car c’était difficile de se produire en Angleterre en dehors de Londres. J’ai fait quelques émissions dans divers pays : le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Finlande, en Suisse, sur la station Couleur 3, et Radio Nova en France. C’est à cette époque que le concept de Worldwide est né. L’idée, c’était d’enregistrer une émission à Londres diffusée dans le monde entier. Les Roots, que j’avais signés sur Talkin’ Loud, ont eu l’idée du nom Worldwide à force de me croiser aux quatre coins du globe. Je me suis aussi un peu inspiré de John Peel. C’est le premier DJ qui m’a fait découvrir le concept des sessions. J’adorais entendre tous ces groupes que personne ne connaissait, et dont on n’entendait parfois plus jamais parler après leur passage.

Comment sélectionnez-vous les groupes qui viennent jouer dans l’émission ?

Il n’y a jamais autant eu de musique disponible. Je reçois environ 50 CD et 70 vinyles par semaine. Ca fait pas mal d’écoute, on me donne un coup de main. J’essaie de garder les oreilles ouvertes. Il y a un peu de compétition, c’est sûr. Le DJing est un sport. Il faut être le plus rapide pour parvenir à récupérer la dernière nouveauté avant l’apparition des white labels et des CDs promo. C’est devenu plus simple depuis quelques années. Aujourd’hui, je me concentre moins sur l’exclusivité et je privilégie le développement. Avant, je passais un disque une fois ou deux maximum pour évaluer son potentiel à l’antenne. Aujourd’hui, ce serait plutôt trois ou quatre passages, et faire en sorte que le titre se retrouve dans d’autres émissions de Radio One. On a beaucoup aidé à la promotion d’artistes comme M.I.A., Dizzee Rascal et The Streets. Tous ces groupes auraient dû passer dans d’autres émissions que la mienne, mais comme Tim Westwood (également animateur à Radio One NDR) ne passe que du hip-hop américain, je les ai passé en premier.

Dans vos sessions, on croise aussi bien Björk et Roots Manuva que Beck, Beth Gibbons et Amp Fiddler. Revendiquez-vous l’absence de tout format ?

J’ai produit un tas d’albums de DJ et de mix-tapes, peut être une centaine. Certains LPs ne portent même pas mon nom. Au bout d’un certain temps, j’ai voulu passer à autre chose. J’aime la dance music, mais je suis aussi fan de musique live. Quand je fais des sets, je suis souvent accompagné par un groupe. J’ai toujours essayé de mélanger la culture DJ à la culture de la scène, et la BBC m’a aidé à progresser dans cette direction. Je me sens plus relax aujourd’hui, et très proche de l’esprit indie qui me pousse à faire ce dont j’ai envie avant tout. C’est pour cette raison que les sessions n’obéissent à aucun format. Ce qui me plait par-dessus tout, c’est que ces enregistrements ne sonnent pas acid-jazz. J’aime la musique noire, mais l’émission va plus loin que ça. Je peux passer du José Gonzales ou du Sufjan Stevens, c’est ce qui donne à l’émission sa couleur et sa pertinence. J’aime aussi mélanger les gens, faire jouer Dwele avec Roy Hargrove par exemple, ou encore Steve Reid avec Four Tet. J’aime faire sortir les musiciens de leur contexte, à l’image de la session acoustique avec Roots Manuva qui ressemble à tout sauf du hip-hop.

Worldwide a démarré en 2000. Quelles ont été les sessions les plus marquantes de ces dix dernières années ?

Tous les morceaux des sessions ont une mémoire, mais ma session préférée reste celle de Matthew Herbert, pour son énergie et son enthousiasme. Le Cinematic Orchestra était là, on assistait à la création d’un nouveau titre en direct… Je garde également un bon souvenir de la session des N.E.R.D. Six mois avant la sortie de leur premier album, j’avais récupéré un white label que j’avais diffusé en boucle dans l’émission. Pharell Williams est un grand supporter du show depuis cette époque, et il passe nous voir chaque fois qu’il se rend à Londres. Celle de Björk était incroyable. Elle a eu lieu un dimanche après-midi, en présence d’une chorale islandaise et de Razhel des Roots. De l’autre côté de la console, il n’y avait que moi, un ingénieur du son et mon producteur. Imaginez une après-midi entière avec Björk dans une ambiance aussi intimiste…

Qui seraient les invités de vos sessions imaginaires ?

Je rêverais de faire venir Stevie Wonder, mais pas pour le voir jouer trois extraits de son dernier album. Il faudrait qu’il joue avec d’autres invités et parvenir à créer un événement. J’aimerais voir Björk rencontrer les Roots, retrouver D’angelo, accueillir Lauryn Hill, Erykah Badu, Mos Def et Q-Tip, mais ce salaud me plante à chaque fois (rires) ! Par-dessus tout, mon rêve serait d’enregistrer une session purement jazz avec Herbie Hancock ou Wayne Shorter.

Que pensez-vous de l’émergence des radios Internet ?

Je suis étonné d’être encore soutenu par une station nationale, car on peut entendre mon show sur Internet à partir de n’importe quel ordinateur du monde entier. Mon message board est quatre fois plus populaire que n’importe lequel de la BBC. C’est dingue. Il nous arrive d’inviter des auditeurs lors de nos sessions, histoire de les remercier. C’est important de maintenir un lien avec la communauté.

Entre vos sessions, votre show hebdomadaire, vos productions diverses et vos sets de DJ, on a l’impression que la musique occupe 100% de votre temps.

De temps en temps, il faut que je me déconnecte. Le week-end, je n’écoute pas beaucoup de musique chez moi. Mais chaque lundi matin, je fais le tour des disquaires. Onze heures, c’est la bonne heure. La visite des disquaires du lundi matin fait partie des habitudes anglaises, comme le pub et le club du samedi soir. Si tu ne suis pas ces règles, tu n’as rien à faire dans ce business (rires) !

Propos recueillis par SlyStoned

Worldwide Festival, du 6 au 10 juillet à Sète. Avec Raphael Saadiq, Dam Funk, James Blake, Cut Chemist, Flying Lotus…